Il s’agit d’un sujet complexe et sujet à de nombreuses controverses. C’est pourquoi, cette présentation essaie d’en délimiter les contours et la problématique mais ne traite que quelques-unes des questions qui y sont liées.
Pour commencer de quoi parle-t-on ? Dans les soins, on est fréquemment confrontés à des personnes qui se plaignent de douleurs physiques qu’on ne peut pas objectiver sur des bases organiques probantes (on ne voit rien au scanner, à l’IRM, les tests sont normaux…) Si il y a une lésion visible, elle n’est pas suffisante pour expliquer la durée et l’intensité de la douleur. Cela arrive dans pratiquement toutes les spécialités médicales (des symptômes intestinaux inexpliqués en gastro-entérologie, le syndrome de fatigue chronique en infectiologie, le syndrome d’hyperventilation (une difficulté respiration associées à divers symptômes dont des malaises) en pneumologie, syndrome douloureux qui précède les règles en gynécologie…).
Pour aborder cette question de ce qu’on nomme actuellement les « symptômes médicalement inexpliqués » et des « troubles somatoformes », je me suis centrée sur la fibromyalgie, qui appartient au domaine de la rhumatologie, c’est-à-dire d’une spécialité médicale qui concerne l’appareil locomoteur : principalement ce qui touche aux os et aux articulations, mais aussi aux muscles, aux tendons, aux nerfs.
1. Il est bon de commencer par quelques définitions…
… afin de poser le décor et d’adopter un langage commun. Il faut savoir que ces termes et catégories sont objet de controverse et que vous trouverez différents termes se recoupant, utilisés différemment selon les conceptions des auteurs.
Qu’est-ce qu’un symptôme ? Manifestation d’une maladie ou d’un processus pathologique exprimé par le patent (« subjectif » alors qu’un signe est « objectif »)
Qu’est-ce qu’un syndrome ? Ensemble de signes objectifs et de symptômes
Que désigne exactement « symptômes médicalement inexpliqués » ou « fonctionnels » ?
Un symptôme n’ayant pas d’explication ni en termes de lésion tissulaire, contrairement à l’infarctus ou à l’ulcère par exemple, ni en terme de physiopathologie établie. Cela signifie qu’on ne comprend pas le mécanisme de ce symptôme, contrairement à l’asthme par exemple dont on peut décrire comment ça fonctionne.
Après, c’est une histoire de terminologie : « Médicalement inexpliqué » est d’origine anglo-saxonne et a l’avantage d’être plus neutre que « fonctionnel », qui sous-entend une origine psychologique du symptôme.
Quelle est leur fréquence dans le milieu des soins?
En médecine générale, un tiers des symptômes somatiques (c’est-à-dire physiques) sont « médicalement inexpliqués » dont ¼ est chronique. En hospitalier, c’est un peu moins fréquent (ou on y fait moins attention ?) : un quart des symptômes somatiques le sont.
Et d’où vient et que signifie « douleur somatoforme »?
Il existe deux manuels de référence internationaux en terme de classification diagnostique : la CIM, Classification Internationale des Maladies, et le DSM, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, axé sur la psychiatrie. Ces classifications ont émergé du besoin d’un système international de classification des maladies (mentales pour le DSM) pour adopter un langage commun, pour les statistiques de santé et des impératifs de la recherche médicale. Elles se veulent a-théoriques, indépendantes des écoles de pensée psychiatriques, en listant des signes et symptômes qui doivent être reproductibles et vérifiables, quelle qu’en soit la cause. Le terme « douleur somatoforme » provient de la catégorie des « troubles somatoformes » provenant de la CIM. Le DSM contient, lui, une catégorie approchante : « le trouble douloureux. » Voici la défintion du « trouble douloureux somatoforme persistant » (CIM, donc): il s’agit d’une douleur persistante (6 mois au moins et en permanence presque tous les jours), intense, s’accompagnant d’un sentiment de détresse, n’importe où dans le corps, non expliquée entièrement par un processus physiologique ou un trouble physique, et qui constitue en permanence la préoccupation essentielle du patient. Il ne survient pas dans le cadre d’un autre trouble (schizophrénie, troubles de l’humeur, somatisation, trouble hypochondriaque ou troubles somatoforme indiférencié). Le « trouble douloureux » du DSM (qui est le manuel des troubles psychiatriques, je le rappelle) est beaucoup plus axé sur la dimension psychologique.
Ce qui est intéressant quand on se penche sur ces différentes définitions, c’est qu’on peut donc déjà percevoir une légère différence d’approche de la problématique suivant l’ouvrage de référence auquel se rapporte le médecin.
Considère-t-il les facteurs psychologiques intervenant dans l’histoire de ces douleurs ou se focalise-t-il sur ce qu’il observe, lui, c’est-à-dire le fait qu’elle est « la préoccupation essentielle » du patient?
Historiquement, ces troubles somatoformes résultent de la « mise en pièces » du concept d’hystérie.
En gros, le terme d’hystérie vient de la psychanalyse et désigne le fait de traduire un conflit psychique en symptômes physiques. Mais celui-ci avait une connotation péjorative et contenait une explication psychodynamique (issue de la psychanalyse) alors que la CIM et le DSM se contentent de décrire.
2. Qu’est-ce que la Fibromyalgie ?
Comme pour la douleur somatoforme, et comme il s’agit d’un problème qui contient des éléments somatiques (physiques), psychiatriques et sociaux, il existe plusieurs définitions, contenant de petites nuances. Qu’en est-il en psychiatrie ? La fibromyalgie figure dans le Manuel de psychiatrie (2007). Ce syndrome est défini de la façon suivante:
Entité médicale, plus que psychiatrique, à la fois à la mode et très controversée, elle est définie comme un syndrome douloureux musculo-squelettique d’évolution chronique, sans explication lésionnelle et survenant essentiellement chez les femmes d’âge moyen. Ses critères diagnostiques sont, pour l’American College of Rheumatology, la présence à l’examen clinique de points douloureux bilatéraux et axiaux (c’est-à-dire des 2 côté du corps et le long de l’axe : au niveau donc du thorax et du rachis), multiples, provocables par une pression modérée sur divers sites musculaires ou tendineux. (…).
De plus, la fibromyalgie « comprend souvent des [maux de têtes] et des plaintes concernant la sphère digestive, urinaire et les extrémités. Entité diagnostique introduite dans la 10e révision de la classification internationale des maladies de l’OMS (CIM-10) en 1996. »
De nombreuses études se sont aussi penchées sur les maladies psychiatriques qui peuvent être trouvées en association à ce trouble, parmi lesquelles on relèvera une prévalence de dépressions, troubles de l’humeur, troubles anxieux, syndromes de stress post-traumatique, phobies simples, conduites de somatisation (plaintes corporelles inexpliquées) et inquiétudes hypocondriaques (certitude d’être malade) plus élevées que dans la population générale. Sans entrer dans les détails, la question du lien de causalité entre douleur chronique et troubles psychiatrique peut souvent d’avérer très complexe (pour la dépression par exemple : est-ce la douleur qui créé l’état dépressif ou l’inverse ?)
Bien, mais quelle est la fréquence de la fibromyalgie ? Il semblerait qu’il s’agisse d’un problème de santé fréquent. Les estimations varient selon les sources, mais d’après l’Association Suisse des Fibromyalgiques (2012), elle touche 2 à 4% de la population des pays industrialisés. « Les coûts de santé générés par la fibromyalgie sont considérables » en raison de l’invalidité et du recours au système de soins qu’elle entraîne.
Les personnes touchées sont en grande majorité, à 85%, des femmes. L’âge des personnes touchées se situe principalement entre 30 et 60 ans.
Il semblerait qu’il s’agit en fait d’un syndrome qui n’est pas nouveau, mais qui a revêtu plusieurs noms au fil du temps :
neurasthénie, fibrosite, fibromyoste, polyenthésopathie ou encore Syndrome Polyalgique Idiopathique Diffus.
Avec la description de la Fibromyalgie, on peut imaginer que vivre avec une telle symptomatologie engendre une souffrance aussi bien psychique que sociale, liée à la douleur chronique, à l’incertitude. Celle-ci est encore renforcée par les doutes émis à propos de la légitimité de la plainte et à propos de l’honnêteté des patientes (par les proches, les assureurs, les médecins, etc…). On se rend d’ailleurs compte que le terme de « détresse psychologique » revient souvent dans les études sur la fibromyalgie.
Il est vrai qu’on peut se demander quelle est exactement la différence entre le « le trouble douloureux somatoforme persistant » et la fibromyalgie.
En réalité, cela reste assez subjectif et dépend, là encore, de l’appréciation du médecin.
En effet, il doit choisir entre les deux diagnostics (ou plus : il pourrait aussi reprendre les termes vu plus haut de « symptôme fonctionnel » ou « trouble douloureux »).
Ce qui les différencie, c’est que la présence de ces fameux points douloureux fait partie des critères diagnostics de la fibromyalgie, alors que la définition du trouble douloureux somatoforme persistant n’en fait pas mention. C’est donc plus précis et plus ciblé.
ليست هناك تعليقات:
إرسال تعليق