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Le Monde de la Bible
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Abraham
a vécu en 1850 avant Jésus-Christ
»
M
ême si certains ont encore du mal à l’admettre,
il faut définitivement renoncer à la quête illusoire
d’un Abraham historique. Certes, aujourd’hui
comme hier, ce personnage continue de fasciner car il est
une figure de référence, tant pour le judaïsme que pour
le christianisme et l’islam
: avant même l’alliance du Sinaï
conclue avec Moïse, Dieu s’est engagé sans contrepartie
avec Abraham, suscitant la foi du patriarche et, partant,
celle de tous ses descendants.
Trois lieux sont liés à cette grande figure
: Ur en Chaldée,
Harrân en Haute-Mésopotamie et Hébron dans le sud de
la Palestine. L’expérience d’Abraham est d’abord celle d’un
voyageur, d’un pèlerin, dont la Genèse (11,27-32) nous dit
que la famille, après avoir résidé à Ur, dans le sud de la
Mésopotamie, est allée s’établir à Harrân, en Turquie du
sud-est, avant qu’elle ne reprenne la route, sur ordre de
Dieu, pour se rendre vers le pays de Canaan, la «
Te r re p ro
-
mise
». C’est donc un vaste territoire, en réalité l’ensemble
ce que l’on appelle aujourd’hui le «
Croissant fertile
», qui
sert de décor à cette histoire.
La saga des patriarches
Jusque dans les années 1960, la majorité des biblistes et
des historiens du Proche-Orient ancien mettaient ces péré
-
grinations et l’arrivée en Canaan de la tribu d’Abraham (et
donc des premiers ancêtres d’Israël) en rapport avec les
grands mouvements de population attestés par les sources
mésopotamiennes, ceux des Amorrites, datés du début du
II
e
millénaire av. J.-C. (âge du Bronze moyen). Pour beau
-
coup de ces savants, comme l’Américain William F. Albright
ou le Français Roland de Vaux, la saga des patriarches pa
-
raissait d’autant plus historiquement vraisemblable que la vie
pastorale des patriarches de la Bible ressemblait à celle des
Bédouins du Proche-Orient, telle qu’elle se déroulait encore
sous leurs yeux. De plus, des références claires à de grands
sites mésopotamiens comme Ur ou Harrân semblaient cor
-
respondre aux premiers résultats des fouilles entreprises
à partir du début du XX
e
siècle. Ainsi a-t-on longtemps pu
croire que les découvertes archéologiques allaient confirmer
l’existence historique des patriarches, inscrite dans une au
-
thentique réalité historique. Au cours du dernier demi-siècle,
ces espoirs ont été définitivement déçus, au fur et à mesure
que progressaient en revanche les recherches permettant
de mieux interpréter et comprendre le récit biblique et son
contexte
: il y a donc eu d’abord la remise en cause de l’âge
du Bronze moyen comme cadre historique possible des
traditions abrahamiques
; les spécialistes de l’étude de la
Bible se montrent réservés désormais sur l’existence même
d’une «
époque patriarcale
» en général et n’admettent plus
guère que l’ère des patriarches doive à tout prix être consi
-
dérée comme la phase première d’une histoire séquentielle
d’Israël à inscrire dans un cadre historique précis.
Abraham, l’ancêtre des exilés
D’autre part, le contexte dans lequel ont été mises par écrit
les traditions bibliques relatives à Abraham a été mieux
compris. Il existe désormais un consensus pour affirmer
que c’est pendant l’exil à Babylone (587-538 av. J.-C.)
qu’ont commencé à être fixés les récits sur Abraham et le
don de la Terre promise (le peuple d’Israël, à ce moment-là,
ne possédait plus de terre), mais aussi les récits sur Moïse.
La mention de l’origine «
chaldéenne
» d’Abraham (Genèse
11,31) est un indice du caractère tardif de la fixation de ce récit,
car les Chaldéens ne sont pas
historiquement attestés avant
le IX
e
siècle av. J.-C. Installé dans le sud de la Mésopotamie
(région des très anciennes et prestigieuses cités sumériennes
d’Uruk, de Larsa, de Nippur ou d’Ur), ce groupe de popula
-
tion a fini par devenir suffisamment puissant pour s’emparer
du trône de Babylone. C’est donc une Babylonie devenue
«
chaldéenne
» que les Judéens ont découverte lorsqu’ils sont
arrivés en exil. Dès lors, le lien entre Abraham et la ville «
d’Ur
des Chaldéens
» serait une élaboration des exilés judéens au
moment de rentrer chez eux. En créant le mythe d’une migra
-
tion légendaire depuis Ur jusqu’en Canaan, en passant par
la Syrie du nord, sans doute cherchaient-ils à s’assurer une
légitimité, d’autant plus nécessaire pour eux que ceux restés
au pays prétendaient être les seuls à pouvoir se réclamer de
la descendance d’Abraham, en excluant les exilés (Ézéchiel
33,24). Il convenait donc de ne pas se laisser rejeter et de
revendiquer aussi Abraham comme ancêtre.
Dans un besoin de redéfinition de leur propre identité et
de valorisation de leur condition d’émigrés, les Judéens
de retour d’exil ont ainsi prétendu détenir le secret des
origines babyloniennes d’Abraham, faisant de lui l’ancêtre des
exilés revenus de Babylonie en Juda.
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Bertrand Lafont
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